N° 1 | N° 2 | N° 3 | N° 4 | N° 5 | N° 6 | N° 7 | N° 8 | N° 9 | N° 10 | N° 11 | N° 12 | N° 13 |
Revue Chemins d'étoiles n° 11
Novembre 1997 - ISSN XXXX-XXXX - XX €
Editorial
Les archéologues qui fouillèrent les tombes en Asie centrale furent émerveillés par les splendeurs exhumées : dans les plus riches sépultures, des fragments d’étoffes de soie, colorées et superbement décorées, drapaient le corps du défunt. L’une d’entre elles révéla même une bannière de soie, en forme de tau, ornant le couvercle d’un cercueil. De bas en haut, le décor évoquait l’empire des morts (le Yin), puis le monde des vivants, enfin le séjour céleste (le Yang). Dans leur dernière demeure, et pour le grand Voyage, ces défunts s’étaient munis d’un viatique sacré : c’est avec sérénité qu’ils pouvaient désormais abandonner leur dépouille mortelle aux sables du désert.
Ces hommes pleins de sagesse avaient pénétré le sens du secret qui leur avait été dérobé, jadis, par une princesse chinoise ou un moine byzantin. Ils avaient compris le cycle des métamorphoses, cet enchaînement de mues successives qui promet à l’animal rampant sorti de l’œuf de devenir un splendide papillon, et interrompt brusquement son développement pour lui tracer un avenir plus lumineux encore…
D’âge en âge, le ver à soie avance sur la voie de la rédemption. Changeant plusieurs fois de peau, la larve transformée en chenille se libère progressivement de ses limbes. Forte de ce patient mûrissement, elle se redresse et pointe vers les hauteurs. Au terme de son ascension, elle est devenue diaphane : c’est alors qu’elle se met à sécréter un fil soyeux dans lequel, lentement, elle s’enroule. Ce cocon sera son linceul : pour porter son fruit, la graine doit mourir. Ne faut-il pas laisser la mort aux ténèbres afin de libérer le vivant ? De cette gangue obscure et secrète jaillira la lumière : un fil d’une blancheur parfaite, resplendissant d’une clarté divine. Dégagée de son ultime enveloppe charnelle, la chrysalide a revêtu sa parure céleste.
Il appartiendra au tisserand de faire fructifier ce précieux héritage. Jouant avec les effets de chaîne et de trame, il devra préserver la lumière du fil, cet éclat chatoyant propre à l’étoffe de soie. Au rythme du va-et-vient de sa navette sur le métier, il poursuivra le tissage d’une destinée peu commune : celle des hommes qui, pour percer le secret de l’immortalité, ont sillonné les routes jusqu’aux confins du monde, traçant de multiples artères où circulèrent, tour à tour, les conquérants en proie à des luttes sanglantes et les colporteurs d’idées avides d’échanges. Une épopée contrastée, brodée en alternance d’ombre et de lumière, qui trouvera son terme en son accomplissement : pour achever l’ouvrage, l’artisan nouera délicatement les fils entre eux. Dans une belle frange de soie, rehaussée d’or et d’argent.
Gaële de La Brosse
Sommaire Repères : Dialogues : Portfolio (en couleurs) : L’espace et le temps : Passeurs: Parcours choisis : Lire, voir, écouter : Œuvre : |
|