Revue Chemins d'étoiles n° 13
Novembre 1997 - ISSN XXXX-XXXX - 20 €
Editorial
Lorsque, aux temps primordiaux, le courroux du ciel noya la terre sous les eaux, un Juste construisit l’embarcation qui devait préserver la miraculeuse profusion du bestiaire terrestre. Toutes les espèces, des plus petites aux plus encombrantes, furent jugées suffisamment précieuses pour qu’aucune ne fût laissée à l’entrée de l’arche, et le ciron embarqua avec l’éléphant. La noblesse côtoyait la laideur sans répulsion, et la panthère prit place auprès du crapaud. L’homme dirigeait cette ménagerie flottante, mais, pour être guide, il n’était qu’une espèce parmi celles qui se pressaient flanc à flanc dans le navire – un navire où, écrit Nicolas Bouvier, “nous vivions plutôt serrés mais tous ensemble” (Le Hibou et la Baleine). Là, nulle proie et nul prédateur ; ni maître ni esclave ; Noé et sa troupe, unis dans la tempête, voguent de conserve. Que se dirent-elles, ces bêtes, et que dirent-elles au patriarche pendant ce voyage de quarante jours, où espèce humaine et espèces animales faisaient face côte à côte à la colère de Dieu ? Quand l’embarcation s’échoue en haut du mont Ararat, c’est un voyageur au long cours, le corbeau, qui vient annoncer la bonne nouvelle de la descente des eaux. Bonne nouvelle ? La fin du périple et le retour à la vie sédentaire de la terre ferme sonnent le glas de l’entente mutuelle. À la sortie de l’arche, les haines et les instincts surgissent, que la navigation avait mis en sommeil. La dent du loup de nouveau menace l’agneau, de nouveau le taon agace la jument ; surtout, le pacte fraternel avec l’homme est rompu : d’ami il devient despote, soumettant l’animal à ses besoins et à ses caprices. Et c’est l’esclavage du travail, la violence de la chasse, l’injustice de la captivité. Pourtant, l’imaginaire humain se peuple d’un bestiaire fabuleux qui anime le monde inconnu et assouvit sa soif de symboles. Pourtant enfin, des voyageurs partent encore pour un périple commun, où l’animal n’est pas que moyen, mais alter ego : monture ou gardien du campement, annonciateur des tempêtes et des accalmies, messager des heureuses nouvelles, porteur d’exotisme ou témoin familier du retour, il est le complice du cavalier, du cornac, du berger, du pèlerin, du navigateur, du naturaliste. Par eux se renouvelle la promesse de Noé ; par eux redevient possible, l’espace d’un voyage, l’antique compagnonnage des hommes et des bêtes.
Gaële de la Brosse
Sommaire Cheminements : Repères : Dialogues : Portfolio (en couleurs) : L’espace et le temps : Passeurs : Parcours choisis : Lire, voir, écouter : Œuvre : |
|